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Chroniques
L’Espace furieux
spectacle de Mathilde Delahaye
Élevé proche d’une Suisse lacustre et montagneuse, Valère Novarina (né en 1947) part pour Paris étudier littérature, philosophie et philologie. Il écrit un mémoire sur Artaud, rencontre Roger Blin et se rêve alors acteur. Ce métier ne sera pas le sien, mais le théâtre reste chez lui central, comme le prouvent de nombreux ouvrages qu’il met en scène, souvent l’année même de leur parution, tels Vous qui habitez le temps (1989) ou Le vivier des noms (2015). Auteur d’une thèse de doctorat sur celui qui écrit depuis l’enfance et définit la langue comme « l’autre chair », un fluide ou un geste, Nicolas Tremblay résume parfaitement une œuvre qui est essentiellement théâtre de mots :
« l'action de ses textes – utopiques ou concrètement scéniques – se déroule sur un plateau épuré et presque libre de tout décor, où les personnages entrent et sortent gratuitement, sans que leur va-et-vient réponde d'une causalité (comme celle d'une mise-en-intrigue). L'intérêt de cette présence théâtrale sans queue ni tête réside dans ses répliques surgissant de nulle part et dans leur étrangeté tantôt mystique, tantôt bouffonne. C'est la parole en elle-même qui, ici, étonne donc par sa seule teneur » (Université du Québec à Montréal, Avril 2008).
Les auteurs fortifiants attirent Mathilde Delahaye (formée à Strasbourg), puisqu’à son curriculum l’on trouve Claudel, Gombrowicz, Handke, Rabelais et Tarkos. Avec Novarina, la metteure en scène se confronte à une constante séparation du corps et de la voix – « dans un excès jubilatoire qui tient de la fête primitive » (Tremblay) – dont témoigne L’Espace furieux. Du texte paru en 1997 naquit un spectacle créé en octobre dernier à l’Espace des arts, scène nationale de Chalon-sur-Saône, avec plusieurs générations de comédiens, entre flegme et logorrhée : Pierre-Félix Gravière, Frédéric Leidgens, Romain Pageard, Juliette Plumecocq-Mech, Maud Pougeoise et Blanche Ripoche.
Ici nul personnage psychologique au sens commun du terme, mais quelques souvenirs décousus, ancrés dans un paysage urbain de commerces et d’autoroutes, mêlés à des questionnements, des aphorismes et des listes (idées reçues, recettes, herbes). Entre un bar d’intérieur et une estrade où chanter souvent devant un micro, on fume, boit, danse, porte un masque, un vêtement ou un accent qui rejette le réalisme. Une anecdote sur la reproduction des vipères marque la frontière entre cet huis clos de cabaret et un extérieur plus étrange encore (débris végétaux, roseaux), découvert par une chute de rideau.
En février dernier, au Collège des Bernardins, Pascal Omhovère délivrait quelques pensées de Lumières du corps (2006), épaulé par les cordes du Quatuor Mélodia. Aujourd’hui, un unique musicien accompagne notre sextette palabrant : Kaspar Tainturier-Fink, perché côté cour avec son violoncelle et un matériel électronique qui lui permettent de « tirer quelques sons du néant ». La superposition de boucles qui ouvre le spectacle n’annonce en rien un art daté (techno, trance, etc.) mais bien la plongée dans une atmosphère intemporelle, immémorielle, empruntée à quelques tribus africaine et scandinave. Le texte respire et finit par céder au silence, écrin d’une émouvante fanfare finale.
LB